Le phénomène du cyberharcèlement entre mineurs a pris une ampleur considérable ces dernières années, suivant la généralisation de l’usage des réseaux sociaux par les adolescents. Face à cette réalité préoccupante, le législateur français a progressivement renforcé l’arsenal juridique pour mieux protéger les victimes et responsabiliser tant les auteurs mineurs que leurs représentants légaux. Cet article propose un éclairage complet sur les conséquences juridiques du harcèlement numérique entre mineurs.
I. Le cadre légal du cyberharcèlement
A. Définition juridique du cyberharcèlement
Le cyberharcèlement est défini par le Code pénal français comme des “propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie se traduisant par une altération de la santé physique ou mentale” lorsqu’ils sont commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne ou par le biais d’un support numérique ou électronique.
La loi du 3 août 2018 a renforcé la lutte contre ce phénomène en introduisant la notion de “raid numérique” ou “harcèlement en meute”, particulièrement fréquent chez les mineurs, où plusieurs personnes s’en prennent à une même victime de façon concertée ou à l’instigation d’un tiers, même sans répétition des actes par un même auteur, comme le précise la plateforme lesjeunesetlenumerique.fr.
B. Spécificités concernant les mineurs
Le droit français considère la minorité des auteurs comme un facteur modulant la réponse pénale, sans toutefois exclure leur responsabilité. L’ordonnance du 2 février 1945, modifiée par la loi du 8 avril 2021 instaurant le Code de justice pénale des mineurs, pose le principe d’une responsabilité pénale adaptée :
En dessous de 13 ans : présomption simple d’absence de discernement, mais possibilité de mesures éducatives
Entre 13 et 18 ans : responsabilité pénale pleine mais régime de sanctions adapté
II. Conséquences juridiques pour le mineur auteur
A. Les sanctions pénales applicables
Selon l’âge du mineur et la gravité des faits, différentes sanctions peuvent être prononcées :
Pour les mineurs de moins de 13 ans :
- Mesures éducatives (remise à parents, placement, mesure d’activité de jour)
- Mesures de réparation au profit de la victime
Pour les mineurs de 13 à 18 ans :
- Mesures et sanctions éducatives
- Peines adaptées (amende, travail d’intérêt général)
- Dans les cas graves : placement en centre éducatif fermé ou détention dans un établissement pour mineurs
Les peines encourues sont proportionnées aux infractions caractérisées :
Harcèlement simple : jusqu’à 1 an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende (pour un majeur)
Harcèlement avec circonstances aggravantes (sur mineur de 15 ans, en ligne) : jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende
Harcèlement ayant conduit au suicide : jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende
Ces peines sont adaptées pour les mineurs selon leur âge (réduction de moitié pour les 13-16 ans notamment).
B. Le suivi judiciaire et éducatif
Au-delà des sanctions, le juge des enfants peut ordonner :
- Un suivi éducatif en milieu ouvert
- Une obligation de soins psychologiques
- Un stage de citoyenneté ou de sensibilisation
- Une interdiction d’usage des réseaux sociaux
C. L’inscription au casier judiciaire
Les condamnations des mineurs sont inscrites au bulletin n°1 du casier judiciaire, accessible uniquement aux autorités judiciaires. Selon la gravité des faits et le comportement ultérieur, ces mentions peuvent être effacées à la majorité sur décision du juge.
III. La responsabilité parentale
A. Responsabilité civile des parents
L’article 1242 du Code civil dispose que les parents sont civilement responsables des dommages causés par leurs enfants mineurs. Cette responsabilité s’applique pleinement dans les cas de cyberharcèlement et implique :
L’obligation d’indemniser intégralement les préjudices subis par la victime
La possibilité pour les assurances responsabilité civile familiale de refuser leur garantie en cas de faute intentionnelle
B. Mise en cause pénale des parents
Dans certaines circonstances, les parents peuvent être poursuivis pour :
- Non-respect de l’obligation de surveillance
- Complicité par abstention s’ils avaient connaissance des agissements sans intervenir
- Non-assistance à personne en danger dans les cas les plus graves
C. Mesures d’accompagnement parental
Les parents peuvent être contraints par la justice à :
- Suivre un stage de responsabilité parentale
- Se soumettre à des mesures d’assistance éducative
- Participer au processus de médiation et de réparation
IV. Le rôle des établissements scolaires et des plateformes numériques
A. Obligations des établissements scolaires
Même lorsque le harcèlement se déroule principalement en ligne et hors temps scolaire, les établissements ont un devoir d’action :
- Obligation de signalement aux autorités compétentes
- Mise en place de mesures de protection de la victime
- Activation des protocoles anti-harcèlement
La loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire a renforcé ces obligations en créant un délit spécifique de harcèlement scolaire.
B. Responsabilité des plateformes
La loi pour une République numérique de 2016 et la loi Avia de 2020 (partiellement censurée) imposent aux plateformes :
- Un retrait rapide des contenus manifestement illicites après signalement
- Une coopération avec les autorités judiciaires
- Des dispositifs de signalement accessibles aux mineurs
V. L’accompagnement des victimes
A. Dispositifs de protection
Les victimes mineures bénéficient de protections spécifiques :
- Possibilité d’audition par des enquêteurs spécialisés
- Droit à l’assistance d’un avocat spécialisé mineurs
- Possibilité d’anonymisation de la procédure
B. Ressources d’aide
Plusieurs dispositifs sont accessibles aux victimes et à leurs familles :
- Le numéro vert 3018 (anciennement Net Écoute)
- Les maisons des adolescents
- Les associations spécialisées comme e-Enfance